Voyage en Patagonie

 Vous pouvez tout simplement regarder quelque chose, 
mais vous pouvez aussi "voir" ce que vous regardez

En France vous avez vos cathédrales, Quintupeu est notre cathédrale
  ( plaisancier chilien )
La Patagonie est souvent synonyme d'attente. Attendre la fin de la pluie, attendre le soleil, attendre que le vent se calme, attendre que le courant soit favorable. On se rend compte que l'on ne décide de rien. On attend que les lieux décident de nous être favorables. On est petit dans cette grande Patagonie.
Sur un voilier, on doit toujours jouer avec les éléments. Ne pas en tenir compte et ce sont des heures de moteur inutiles. Parfois, le temps semble favorable, on vire dans un canal et tout change : le clapot s'est levé, l'avance devient impossible, il faut rejoindre un abri, endurer le moment présent, parfois l'effort est inutile et les conditions nous obligent à rebrousser chemin en pestant sur ces lieux où l'on n'aurait jamais dû venir. Le refuge se précise, une fente ouverte dans la forêt dense, un passage où l'on se glisse comme sous une couette. Le paradis. Non qu'il s'agisse forcément d'un lieu extraordinaire, mais il est l'abri alors que dehors il n'y a plus de plaisir. Nous mouillons l'ancre, une amarre ou deux est portée à terre. Moteur coupé, le poêle allumé, quelques minutes plus tard, une chaleur amicale enveloppe le carré. La cime des arbres se balance dans le vent. Tant d'efforts pour le plaisir d'une boisson chaude, sommes-nous bien normaux ? Eh non justement, puisque nous sommes là.

 Avec notre petit moteur de 10 chevaux, nous sommes souvent condamnés à attendre. Mais est-ce vraiment une condamnation ? En allant vite, quels souvenirs en resteraient-ils ? Des paysages. Sublimes parfois, mais seulement des paysages. Ces petites cabanes au fond de certaines baies, nous les aurions aperçues juste le soir en arrivant et dans l'aube du petit matin en repartant pour tracer la route. En allant vers elles, nous sommes entrés dans le cœur des hommes qui nous ont raconté leur Patagonie, celle que, nous voyageurs ne pouvons qu'entrevoir.
Prendre le temps d'ajouter à ces souvenirs de décors des paysages humains, pour plus tard regarder une carte de Patagonie et la voir sourire d'un Carlos, Romilio ou Jojuen, dissimulés dans ces traits de côtes, mais qui pour nous balisent ces lieux comme un feu qui signale l'arrivée à bon port. Visages patagons.




  glacier San Rafael 
 Le glacier de San Rafael se jette dans une lagune en formant une falaise de glace d'un bleu exceptionnel et envoûtant. Sa dimension gigantesque est difficile à appréhender sans repères, la langue terminale qui aboutit à la mer après avoir parcouru 40 km depuis le sommet du mont St-Valentin, mesure deux kilomètres de large, et sa hauteur (100 m) est comparable à la flèche d'une cathédrale.
Les crevasses découpent le glacier en une forêt de pinacles qui vont s'effondrer dans la mer dans de grands coups de tonnerre et former ainsi des icebergs.
Ces icebergs parfois de taille monumentale vont tourner pendant des jours dans la lagune, se brisant au fil du temps en morceaux suffisamment petits pour pouvoir en sortir par l'étroit goulet.


 

La glace, un moment magique et de grand bonheur    
 
 

Le courant à l'entrée de la lagune peut atteindre 10 noeuds en vives eaux. Entrées et sorties ne sont possibles qu'avec le courant de marée.
Par temps stable, le mouillage est envisageable dans la partie nord-est de la lagune, par faible profondeur, pour se tenir à l'abri des plus grosses glaces.
  



 Rio Patos
 
  Entrée et amarrage dans la rivière Patos

Dernier mouillage avant le glacier San Rafael, nous y sommes venus à quatre reprises.  Mieux vaut ne pas mouiller au centre du cours d'eau, mais plutôt se coller à une des berges pour rester à l'écart  des glaces qui remontent parfois la rivière avec la marée.

 


Mouillage : fond de vase 5 mètres, une ancre avant, une ancre arrière, 2 ou 3 amarres à terre.

  
 
A notre dernier passage, nous y avons perdu l'ancre de notre mouillage principal, sans doute prise dans un vieux corps mort. L'eau à 8°est claire comme du jus de boudin ; après 1h20 à tourner et retourner autour, il a bien fallu se résigner.



Carlos, baie Atracadero
 Voyager pour ces instants, paysage humain, marque de souvenirs indélébiles 

Cette baie à l'ouest du village de Puerto Aguirre mérite le détour rien que pour la présence de Carlos.
Pour ceux qui passeraient par là, prévoir une photo de votre bateau pour sa collection.
 


 
Atracadero fait partie des rares endroits dans l'archipel des Chonos où il est possible de randonner sur les collines environnantes.
Chonos était le nom du peuple amérindien nomade aujourd'hui disparu qui peuplait autrefois ces îles.


Mouillage : fond de vase 9 mètres, pas d'amarrage à terre.



Tourbillons
Dans les passages délicats, nous prenons toujours un grand soin de faire coïncider notre arrivée avec  la meilleure heure de marée. Le passage dans les tourbillons donne l'impression de rouler sur du  verglas.



Talonnage
La cartographie n'est pas parfaite mais suffisante quand on reste dans les canaux principaux, nous naviguons toujours un oeil sur le sondeur. Naïla a talonné à deux reprises, et chaque fois à des endroits où nous étions déjà passés. Preuve qu'il faut toujours rester vigilant.




Île Marta

  
 Nous avons utilisé trois fois ce mouillage lors de nos passages successifs. Le meilleur endroit se situe dans le coin nord-ouest, amarré à terre au plus proche des arbres. Par vent d'ouest, l'endroit est très calme alors que dans le canal la navigation est devenue impossible.
  
 
 Les moules contaminées par la marée rouge sont toxiques, elles ne doivent pas être consommées. Par contre, elles ne présentent aucun problème pour appâter les crabes.
 Les crabes, une alimentation de base dans les canaux de Patagonie.


 
 
Mouillage : fond de vase et de roches 10 mètres, une amarre à terre par beau temps, 3 amarres si  coup de vent. 
Quel que soit le temps, dans un mouillage avec fond de roches, je préfère porter une amarre à terre pour empêcher Naïla de tourner et d'emmêler sa chaine dans les roches.




Jojuen, île Chaculay
 
  Arrivés dans une baie où vit quelqu'un, c'est un peu s'inviter chez lui, débarquer avec quelques vivres et lui offrir, c'est le bouquet de fleurs à un ami, il ouvre la porte du coeur et donne une autre dimension au voyage.
 
 Au premier abord, on pourrait prendre Jojuen pour un miséreux. En le côtoyant plusieurs jours, on comprendra qu'il est riche de la vie qu'il s'est choisi.


 
  Mouillage : fond de vase 2 mètres, pas d'amarrage à terre.





San Pedro, au sud de l'île Chiloé
 
En cas de coup de vent, il faut remonter loin dans l'estero pour trouver un bon mouillage. Nous préférons passer du temps à trouver un bon abri pour ensuite dormir sur nos quatre oreilles.
 
   Un solitaire vit sur la rive gauche juste après le mouillage que nous avons noté sur la carte. Il ne demande qu'à partager un moment avec vous.
  


  Mouillage : fond de sable et vase 15 mètres, 2 amarres à terre.




Journée humide
Je n’ai pas de révolte contre les éléments, c’est la principale leçon de la nature de savoir qu’elle est la plus forte. C’est aussi la vie de marin, on accepte ou on change de métier.



Demi-tour, mouillage imprévu
Avec notre petit moteur de 10CV, le vent et le clapot dans les canaux de Patagonie nous poussent parfois à chercher un mouillage de fortune
 
Lire une carte, j'aime ces mots, ils reflètent tout à fait le présent. La première fois que l'on regarde une carte, c'est comme lire un texte dans une langue étrangère, avec l'expérience on apprend à se méfier des faux amis. Une baie bien dessinée mais trop grande est à éviter, alors que cette amorce d'échancrure sur la carte peut se révéler  un mouillage parfait. En Patagonie, plus le trou est petit, meilleur sera l'abri.

Le vent et le courant contraires nous ont contraint à passer la nuit dans un mouillage de fortune

Mouillage : fond de vase 1,2 mètre!! pas besoin d'amarrage à terre, à marée basse, la quille est collée dans la vase









Calage improvisé 
 
Une entrée d'eau dans l'inverseur sail drive nous a obligé à sortir Naïla de l'eau pour changer les joints spi. Baie Sisquelan, perdue dans les canaux de Patagonie. En trois jours, nous avons renforcé le ponton pourri à l'aide d'un rail de chemin de fer, terrassé et stabilisé le sol meuble avec des pièces de fonte d'une vieille machine à vapeur abandonnée.



Comme tout est pourri, j'ai multiplié les points de fixation.
Recherche de ferraille dans l'ancienne scierie abandonnée en vue du calage. Le cerveau marche à cent à l'heure pour trouver des solutions aux problèmes qui s'accumulent.
Nous sortir de situations apparemment sans issue, avec ce dont je dispose sous la main, me procure des moments de bonheur incomparable.



Naïla s'appuie sur le rail en acier que j'ai mis en place, enfoncé dans les cailloux pour le bas et fixé au reste du ponton pour le haut.





Chez Romilio, baie Sisquelan
 
 

Romilio en 2015 avec une embarcation plus classique que son petit radeau en polystyrène de 2010. Lors de notre premier passage comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessus, Romilio ne voulait pas monter à bord de Naïla. En faisant cette fois le premier pas en allant chez lui, il est ensuite venu chez nous. Il faut parfois détecter les timidités. 

Après ma visite chez Romilio, je me suis demandé ce qui peut bien pousser un homme à vivre dans une telle solitude. Il faut imaginer l'endroit : le premier village est à 2 jours de navigation, il n'y a guère que quelques périodes en été où le ciel ne pleure pas. Aucune culture n'est possible sur ce sol de mousses spongieuses. Robinson Crusoé avait au moins le soleil. Vivre à long terme dans un lieu si hostile demande une grande richesse intérieure, aucun besoin de livres pour Romilio, simplement un savoir sur le voyage en soi.  


 
Mouillage : fond de vase 7 mètres, ou près de l'ancienne scierie avec 4 amarres.




Caleta Diablo 

Notre arrivée à caleta Diablo juste avant la nuit
Caleta Diablo, (la baie du diable) porte ce nom car l'une des routes pour y parvenir passe par la carrera del diablo (le couloir du diable). Ce lieu est parcouru de tels tourbillons que tenter de le franchir au plus fort de la marée s'approche quelque peu d'une forme de suicide!!
Caleta diablo est notre baie préférée dans l'archipel des Chonos. Les îles sont moins spectaculaires que le côté continent, mais moins pluvieuses et moins ventées.


Mouillage : fond de vase 2,5m, pas d'amarrage à terre.
Si on prend le temps de baisser la tête et de s'accroupir, le printemps nous offre à "voir" un monde féérique. Nos randonnées se font en zigzagants, non saoulés d'avoir tant vu, mais de peur d'écraser ces merveilles.










Matin tranquille au large de l'île de Chiloé
en route vers Mechuque
 

L'archipel de Mechuque est notre endroit préféré dans le groupe d'îles situé entre Chiloe et le continent.
On peut se contenter du mouillage devant le village principal. Pour notre part, nous préférons des
endroits plus tranquilles où l'on peut flemmarder des jours durant, à pêcher le crabes, ramasser des coques, ou ne rien faire.
C'est dans la baie de Cheniao, la mieux protégée de l'archipel, où nous avons passé plusieurs semaines, que nous avons terminé d'écrire Elle rêve avec moi.

Epicerie de Cheniao


Village de Mechuque











Canaux de Patagonie, Chili









Pour terminer ces quelques escales Patagoniennes,
 un extrait de notre livre Elle rêve avec moi :
Je m’étonne de la légèreté avec laquelle mouillent certains capitaines. L’ancre est «bazardée» avec sa chaîne sur un même tas et advienne que pourra. Nous mouillons toujours en déroulant la chaîne sur le fond et en testant la tenue de l’ancre, moteur à fond en marche arrière, le b.a.-ba. Le vent peut souffler, nous dormons sur nos deux oreilles...
Une navigation, même mauvaise de souvenirs, se justifie souvent par ce plaisir de l’arrivée. Les voiles rentrées, le bateau amarré ou mouillé en sécurité, la traversée se termine et l’escale peut enfin commencer. Comment décrire ce moment d’accomplissement ? Pas de mots, juste un brin d’amour. Nous scellons, comme chaque fois, cet instant d’un baiser.



 Tournage en Patagonie
Nous avons passé plusieurs jours dans les canaux autour de Puerto Aguirre avec une équipe du magazine Thalassa. La date de diffusion du reportage n'est pas encore déterminée
Images d'ambiance.